lundi 12 mai 2014

Le premier patient - toux ou genoux?

Après trois années d'études théoriques, j'avais afin atteint le stade d'externe. Pour les deux prochaines années, j'allais passer tout mon temps dans des spécialités médicales à l'hôpital à rencontrer des patients et à utiliser les connaissances que j'avais amassées (du moins, c'est ce qu'on voudrait bien, mais nous y reviendrons une prochaine fois).

La réalité est néanmoins bien différente des livres et des simulation de questionnaire médical que nous faisions en questionnant nos camarades de classe. Parce que bien avant de pouvoir poser un diagnostic, il faut obtenir de l'information et gérer le contact avec une autre personne. Et parfois, on ne sait pas à qui on va avoir à faire. Mon premier patient me l'a bien rappelé.

J'étais dans une urgence, en région. Fébrile, j'avais révisé la veille les questions à poser à un patient pour ne rien oublier. Je n'avais aucune idée du fonctionnement des lieux autour de moi ni de ce qu'était le rôle de chacun (et encore moins du mien!). Le médecin me supervisant, ma patronne, en était à sa première année de pratique et était dans cet hôpital depuis quelques semaines seulement. Elle était très gentille, mais ne savait pas trop elle non plus (je l'apprendrais plus tard en côtoyant d'autres patrons) comment gérer un stagiaire.

Une infirmière vient donc me voir et m'amène au premier patient. Elle me dit qu'il s'agit d'un homme dans la soixantaine venant pour "toux". Je prends le dossier (dont je ne sais pas du tout quoi faire ni comment consulter) et je cherche autour où est le patient en essayant d'avoir l'air de savoir ce que je fais. Mais, et la vie me le confirmera à multiples reprises, on ne berne pas une infirmière d'expérience. Celle-ci me prend en pitié et me dirige à la salle d'examen où attend le patient en m'encourageant (après tout, je suis en région, les gens y sont à mon expérience plus.. gentils).

J'entre, je me présente au patient en lui expliquant que je suis un externe qui assiste le médecin. Il ne sait pas ce que c'est. Je lui explique. Il ne saisit pas vraiment (si j'avais su que ce schéma se répéterait des centaines de fois j'aurais préparé des dépliants explicatifs dès le début!). En tous les cas, c'est un homme charmant, mais.. nous avions des problèmes de communications. Voici à peu près la transcription de notre discussion :

"[...]

Mistics : Donc vous toussez ?

Patient : Oui le genou droit surtout

Mistics : Pardon? Qu'est-ce qu'il a votre genou?

Patient : Je préfère le droit

Mistics : Avez-vous des problèmes d'audition, monsieur?

Patient : Non c'est juste le genou.

Mistics : On m'a dit que vous aviez de la toux, crachez-vous?

Patient : C'est ça oui. Le genou.

[...] "

Je suis ressorti bredouille. Je n'avais aucune idée de ce que je dirais à mon patron qui s'attendait à des résultats de moi (mais ça aussi, je m'y habituerais rapidement pendant l'externat). Ce monsieur n'était même pas dément ni sourd (?) et avait encore moins un problème avec ses genoux.

Il demeure à ce jour un mystère. Je pense parfois que des gens l'ont payé pour me faire une initiation et que ceux-ci regardent encore la vidéo en riant (et il y avait certainement de quoi le faire).

dimanche 30 mars 2014

Le «mal de reins»

Lorsqu'un médecin fait une entrevue médicale, il s'intéresse aux antécédents de son patient pour mieux comprendre le bagage avec lequel ce dernier commence. Plusieurs ont besoin d'un peu d'aide, en tel cas on tente de préciser si le patient a certains problèmes qui nous intéressent plus (avez-vous des problèmes de cœur? de diabète? de poumons?)

Une condition qui nous intéresse souvent, parce qu'elle influence la prise de la plupart des médicaments s'appelle l'insuffisance rénale. Comme son nom l'indique, cela réfère aux reins qui fonctionnent moins bien (essentiellement, qui filtrent moins bien le sang, de ce quoi s'en suit grossièrement une accumulation des déchets dans le sang). On utilise un marqueur qui s'accumule dans le sang lorsqu'il n'est pas filtré correctement pour nous donner une idée qui se nomme la créatinine. Pour faire bref, en haut de 100mmol/L chez une personne âgée, ça commence à être mauvais signe.

Mais les gens ont une autre notion des «problèmes de reins» :

DrMistics : Êtes-vous connu pour des problèmes de santé?
Monsieur lombalgie : Non aucun.

Un regard dans le dossier me montre une créatinine à 454 mmol/L depuis quelques mois.

DrMistics : Seriez-vous connu pour des problèmes avec vos reins?
Monsieur lombalgie : Non, je n'ai pas mal dans le bas du dos.

Sourire. Ça arrive souvent.

DrMistics : Les reins sont situées pas mal plus haut dans le dos, juste en bas des côtes. C'est une erreur commune, quand les gens ont mal dans le bas du dos ils n'ont pas pas "mal aux reins". Je fais référence à l'organe. On ne vous a jamais dit qu'ils ne filtraient pas assez bien?
Monsieur lombalgie : Arrête d'insister!! Je n'ai pas mal dans le bas du dos, mes reins sont corrects, c'est-tu assez clair?

Introduction

J'ai décidé de débuter ce blog en partie pour moi. Même si je me plains souvent de ma condition, que les journées sont exigeantes et que cette formation variant de 7 à 11 ans peut paraître éternelle, je vis des choses exceptionnelles presque tous les jours. Que ce soit des vies sauvées ou tristement perdues, les histoires rocambolesques des patients ou les frasques des étudiants, j'avais envie d'avoir un endroit pour partager mon quotidien, mais aussi pour me le remémorer dans les années à venir, quand j'aurai perdu ma naïveté de débutant.

Vous trouverez donc ici essentiellement trois choses selon mon humeur :
  • Des anecdotes et des histoires (tristes, loufoques, heureuses) liées à des patients, à des membres du personnel de santé, au doctorat en médecin ou au système de santé en soi ;
  • Des informations sur les programmes en médecine, sur le cheminent des jeunes médecins et sur les exigences et les limites imposées par le système;
  • Quelques notions et exposés sur des conditions médicales si le cœur m'en dit (bref si j'entends fréquemment une telle confusion sur un sujet que je sens le besoin crucial d'en parler et de rectifier le tir).

À noter que j'aimerais finir ma formation (un jour.. surtout après tout ce que j'ai sacrifié pour!) et donc pour des raisons de professionnalisme, je ne rapporterai ici que des histoires sans que qui que ce soit soit identifiable (ni patients, ni professionnels de la santé, ni hôpitaux) et uniquement au moins à peu près un an après qu'elles se soient produites (pour être sûr que personne ne se sente ciblé).

Et si personne ne me lit, je me relierai simplement dans quelques années en ayant oublié le contenu de mes écrits et je sourirai en me rappelant ce jeune temps.